Eau et sécurité alimentaire
L’eau et la sécurité alimentaire : face au changement global, quels défis, quelles solutions ?
AVSF a contribué à l’élaboration de ce rapport publié en février 2012 par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) du Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire, en partenariat également avec l’AFD, l’Association française pour l’eau, l’irrigation et le drainage (AFEID), l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Arvalis (l’institut du végétal), le CCFD, le CIRAD, la Fondation FARM, la FNSEA, le GRET, le Ministère des Affaires étrangères et européennes, le Partenariat français pour l’eau (PFE) et la Société des agriculteurs de France (SAF).
Pourquoi la question est-elle importante ?
L’eau est essentielle à la production agricole, donc à notre alimentation : pour produire 1 kg de farine, 1500 litres sont nécessaires. Il faut 3000 litres par jour pour nourrir un homme. La question de l’« eau des champs » devient aujourd’hui centrale pour la sécurité alimentaire. Sans meilleure gestion, la pauvreté et les instabilités sociales et politiques s’accroîtront. Le « Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture », adopté par les ministres de l’agriculture du G20, réunis pour la première fois à Paris les 22 et 23 juin 2011, définit des mesures pour relever le défi agricole et alimentaire mondial. Les ministres du G20 ont notamment chargé les organisations internationales de préparer un rapport sur eau et sécurité alimentaire. Le présent document, réalisé par le CGAAER (instance de réflexion prospective du MAAPRAT) dans le cadre de la préparation du 6ème Forum mondial de l’eau, est une contribution à la réflexion internationale.
L’enjeu au niveau global est de réduire la pauvreté et la faim, de nourrir 180.000 personnes supplémentaires chaque jour, d’accroître de 70% la production alimentaire d’ici 2050, de s’adapter à la nouvelle donne énergétique et climatique, d’éviter une trop forte déforestation et de prévenir émeutes et instabilités. Comme il serait coûteux et à hauts risques de continuer à gaspiller ou à dégrader des ressources vitales (eau, terres, sols,..) qui vont devenir de plus en plus précieuses, il faut donc réussir à produire à la fois « plus et mieux ».
Les défis à relever sont d’abord régionaux et locaux. Plusieurs « sites critiques » et grandes régions du monde, vulnérables au changement climatique, souffrent déjà de problèmes graves et croissants : pénuries d’eau, surexploitation des nappes, érosion et désertification, pollutions, sécheresses et inondations, pauvreté rurale. Mieux gérer l’eau des champs est une nécessité pour réduire la faim (700 millions parmi le milliard de personnes qui ont faim sont des ruraux), prévenir les risques, produire des services environnementaux (conservation des eaux et des sols, « production d’eau » pour les autres utilisateurs, stockage du carbone…) au bénéfice de toute la société et améliorer les revenus et l’accès à l’alimentation des ruraux vulnérables.
Ces défis régionaux sont aussi inter-régionaux. Faute d’eau et/ou de terres, plusieurs régions mondiales à forte croissance démographique vont en effet devoir importer bien davantage. La dépendance alimentaire des 3 régions -Asie du Sud et de l’Est, Moyen-Orient- Afrique du Nord et Afrique sub-saharienne- (bien que cette dernière dispose pourtant de ressources en eau et terres) devrait se creuser d’ici 2050. Les pays et régions riches en eau de la grande Europe (y compris Russie, Ukraine) et des Amériques vont donc, eux aussi, de- voir mieux préserver, mobiliser et valoriser leurs ressources pour produire « plus et mieux ».
Sept priorités d’action, 40 exemples de solutions
Le groupe de réflexion multi-acteurs sur l’eau et la sécurité alimentaire du Partenariat français pour l’eau, piloté par le CGAAER et le CCFD, a accompagné la réflexion internationale et documenté 40 exemples de solutions et 7 priorités, dont certaines issues de l’expérience d’AVSF.
1/ Accroître l’efficience des systèmes irrigués. Les solutions sont à la fois agronomiques (ex : pilotage fin de l’irrigation, nouvelles variétés de riz pour l’Afrique, nouveaux systèmes de riziculture intensive -SRI- avec assecs et sarclages réguliers pour la petite agriculture à Madagascar et en Asie), organisationnelles et institutionnelles (ex : Prey Nup au Cambodge, vallée du Fleuve Sénégal) et politiques. Le passage à une politique de « gestion de la demande en eau » (GDE) a été décisif pour la Tunisie. L’économie d’eau en irrigation a permis de laisser de l’eau au tourisme, source de devises et aux villes, sources de paix sociale.
2/ Renforcer le stockage et mobiliser de nouvelles ressources en veillant aux aspects sociaux et environnementaux. Les « puits du désert » au nord Niger, l’irrigation de complément dans la vallée du Sourou au Burkina Faso, la réserve du Juanon dans la Drôme, la Limagne noire (réutilisation des eaux usées traitées en Auvergne) sont autant d’exemples montrant l’importance décisive que peut avoir le développement du stockage et de ressources alternatives dans une approche multifonctionnelle. L’adaptation au changement climatique, rend d’autant plus nécessaire la mobilisation des possibilités de stockage, en surface, dans les sols et dans les nappes, comme un outil de gestion des risques.
3/ Accroître la productivité de l’agriculture pluviale et promouvoir l’agro-écologie. Le développement de l’agroécologie et de l’agriculture de conservation (ou d’amélioration : suppression ou réduction du travail du sol, couverture permanente, rotation des cultures) permet de conserver eaux et sols, de réduire érosion, pollutions et charges d’exploitation et d’accroître rendements, revenus et résilience.
4/ Appuyer la « petite agriculture » pour un développement rural durable. La population agricole mondiale se maintient (2,4 milliards de personnes). Souvent très performante, la petite agriculture, au sens large, assure 70% de la production mondiale. Elle demeure cependant marginalisée dans nombre de pays et territoires et peut voir ses revenus ou ses droits d’accès aux ressources remis en cause, suite à la privatisation des services d’eau, accaparement fonciers, accords commerciaux, etc. ; ce qui accroît l’insécurité alimentaire. De nombreux exemples montrent l’importance d’appuis adaptés. Ainsi dans la vallée du Chambo en Équateur (expérience CESA-AVSF), des accords à bénéfices réciproques entre ville et irrigants indiens ont pu être négociés. Les approches «terroirs» (ex. du projet prodesud en Tunisie), négociées avec les communautés, s’avèrent pertinentes pour clarifier les droits et règles d’usage et évoluer vers un pastoralisme et une agriculture durables. Le Vietnam, en responsabilisant 10 millions de foyers agricoles, a doublé sa production de riz en 20 ans.
5/ Gérer les sites critiques (nappes surexploitées et/ou polluées). La nappe de la Beauce (France) montre les mérites possibles d’une gestion volumétrique collective impliquant les agriculteurs. Au Maroc, une convention cadre a permis d’engager le secteur agricole pour maîtriser la baisse dramatique de la nappe du Souss Massa. Plusieurs exemples en France montrent des solutions agricoles innovantes mises en œuvre pour réduire les pollutions.
6/ Agir en amont et en aval de la production. Préserver et économiser l’eau des champs, c’est aussi préserver les terres agricoles de l’étalement urbain et réduire les pertes en eau et en aliments « de la fourche à la fourchette ». Beaucoup reste aussi à faire dans ce domaine.
7/ Élaborer des visions et stratégies d’agriculture durable aux échelles des régions et des macro-régions (ex : Afrique de l’Ouest, Europe..).