Au cœur du sud-ouest haïtien, parcouru de collines et de plateaux étagés, la culture de l’igname est centrale pour l’économie locale. Cependant, les pratiques traditionnelles de tuteurage sont à l’origine de lourds problèmes environnementaux.
Dans la commune de Beaumont, les cultures vivrières comme l’igname, le maïs ou les haricots sont la première source de revenus et d’alimentation de plus de 31 000 personnes. Toutefois, la culture de l’igname, plante grimpante à tubercules, n’est pas sans présenter quelques défis techniques. Les paysans et paysannes pratiquent le tuteurage pour soutenir et guider la croissance de la plante en l’attachant à des structures de support pour y faire monter les tiges. De ce système, qui sert également à prévenir les maladies et à faciliter la récolte, dépend plus de 25 % de la productivité de l’igname. La solution la plus courante dans cette région est d’utiliser des piquets en bois en guise de tuteurs, ce qui provoque d’importants problèmes de déforestation des montagnes. Sans compter les coûts financiers élevés qui amputent les bénéfices des familles paysannes.
Identifier collectivement des solutions…
À travers le projet PAGAI (Programme d’appui à la gouvernance agricole inclusive), trois organisations paysannes ont joué un rôle central pour identifier les contraintes communes, puis expérimenter et valider des innovations imaginées collectivement qui bénéficieront à plus de 700 paysans et paysannes.
Au cours d’ateliers participatifs, les paysans et paysannes ont ainsi pu réfléchir à la problématique du tuteurage. Une solution a émergé : remplacer les tuteurs en bois par des tuteurs vivants. Pour cela, des arbres à croissance rapide sont plantés à des endroits stratégiques des champs d’igname afin que leurs troncs servent de tuteurs. C’est le système « souba ».
… Et les mettre en application
Parmi les 67 espèces « d’arbres repousses » utilisables comme tuteurs identifiées, 7 ont été sélectionnées. Plus de 100 paysans et techniciens, hommes et femmes, ont bénéficié de formations techniques et pratiques pour améliorer leurs connaissances sur l’agronomie de l’igname, son système de tuteurage et les aspects phytosanitaires.
Deux lots boisés, couvrant environ 3 hectares, ont été créés afin de constituer une pépinière de tuteurs vivants. Les boutures des différentes espèces sont destinées à la vente ou à l’installation dans les parcelles des producteurs et productrices alentour.
En parallèle, grâce à 15 parcelles d’expérimentation, les organisations paysannes et les équipes du projet ont pu déterminer les meilleures pratiques de mise en place d’un bon système de tuteurage et mesurer l’impact sur la productivité de l’igname. Ces expérimentations ont mis en lumière les espèces s’adaptant le mieux aux conditions de production spécifiques de la région, ainsi que leurs différents degrés de résilience face aux agressions climatiques.
Quels résultats ?
Les résultats obtenus sont remarquables. Grâce à l’amélioration des itinéraires techniques et à cette nouvelle technique de tuteurage, les parcelles expérimentales ont enregistré des rendements significativement plus élevés, variant entre 14,9 et 22,75 tonnes par hectare, contre 3 à 4 T/ha en conditions de culture traditionnelle ! Par leur forte résistance à la sécheresse et la longue durée de conservation entre le moment de la bouture et de la plantation, le gliricidia, la cirouelle et le gommier se sont révélés être les meilleurs candidats pour jouer le rôle de tuteurs vivants.
De plus, les coûts de production ont été réduits : certains paysans et paysannes témoignent d’une économie de plus de 30 % sur les dépenses liées aux tuteurs.
Le Projet PAGAI illustre donc le potentiel de l’innovation agricole lorsque les acteurs locaux sont pleinement engagés. En intégrant leur participation dans la gouvernance agricole, le projet ouvre la voie à une agriculture plus durable, résiliente et rentable, à Beaumont et au-delà.