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Élevage paysan au Sénégal : quelle évolution souhaitons-nous ?

Largement majoritaire, l’élevage familial sénégalais entre en opposition frontale avec l’élevage industriel. Face aux besoins alimentaires croissants de la population, la cohabitation actuelle et temporaire des deux modèles s’avère un moindre mal avant d’achever la transition vers des élevages paysans encore plus intensifs.

Elevage paysan versus élevage industriel

L’élevage industriel mise sur des investisseurs privés, dépend d’intrants souvent importés (pesticides, engrais chimiques), de médicaments issus de la chimie, de l’importation de soja pour l’alimentation animale. Promu par les politiques publiques, il se singularise aussi par une concentration des moyens de production pour accroître ses rendements et sa compétitivité économique. En contrepartie, il engendre des effets néfastes pour l’environnement et la santé humaine, sans pour autant améliorer les revenus pour les petits producteurs.

À l’inverse, l’élevage paysan s’appuie sur une meilleure gestion des ressources locales, crée des emplois directs et indirects, grâce à des unités de transformation locales, s’affranchit des importations d’intrants et développe le plus souvent des systèmes agroécologiques autonomes. L’élevage paysan est prédominant au Sénégal, comme le confirme le fait que plus de 60% des ressources alimentaires consommées dans le pays proviennent d’exploitations familiales.

De ces deux modèles que tout semble opposer, lequel est le plus performant et le plus apte à répondre aux besoins des populations ? Si l’élevage industriel obtient pour l’instant des résultats supérieurs en termes de production, il reste asservi aux exigences de ses performances économiques, oubliant ainsi les enjeux sociaux et environnementaux, avec les conséquences néfastes que nous connaissons aussi dans les pays occidentaux. L’élevage paysan intègre au contraire ces variables indispensables au bien-être des populations, et dans ce cas il est bien souvent plus performant et « moderne » pour répondre aux défis de demain : valorisation du milieu et respect de l’environnement, limitation des émissions de gaz à effet de serre et capacité d’adaptation au changement climatique, maintien ou création d’emplois locaux décents en zone rurale, lutte contre la pauvreté et sécurité alimentaire, etc. Mais dans l’état actuel des choses, force est de constater qu’au Sénégal, l’élevage paysan n’est pas encore en mesure de répondre à la totalité des besoins alimentaires des villes, qui connaissent un accroissement démographique véloce.

La cohabitation provisoire, un moindre mal ?

Les deux modèles cohabitent d’ores et déjà. Mais il est maintenant urgent de consolider l’élevage familial pour renforcer sa productivité, et ce sans tomber dans l’écueil de l’élevage industriel et trahir sa nature paysanne. Cette intensification prenant du temps et la pression démographique n’attendant pas, la cohabitation de ces deux modèles est sans doute un moindre mal pour nourrir une population croissante, notamment urbaine.

Comment organiser cette cohabitation de fait ? Pendant cette phase de transition pour une reconquête des marchés par les élevages familiaux, l’élevage industriel couvre les besoins urbains non satisfaits. L’urgence est de mettre en place les conditions (accès aux ressources, conseil technique, financement, etc.) pour que l’élevage paysan poursuive son développement et son intensification sur des modes de production agroécologiques et durables ; il nourit déjà en grande partie les zones rurales et devrait pouvoir, petit à petit, remplacer l’élevage industriel sur le reste du territoire. Comme l’explique Bruno Rebelle, vétérinaire et co-fondateur d’AVSF : « L’idéal serait d’articuler des systèmes d’élevage plus extensif dans les zones éloignées des villes, avec des systèmes d’élevage paysans plus intensifs à proximité des zones urbaines. L’intensification n’est pas contraire à la nature paysanne de l’élevage. »

Mais dans les conditions actuelles, ces deux modèles sont-ils compatibles ? L’’élevage industriel bénéficie en effet d’une plus grande reconnaissance sociale et politique, qui lui rend plus aisé l’accès à l’eau, à la terre, au marché, au capital, etc. La cohabitation de ces systèmes n’est pas naturelle ni toujours stable et équilibrée ; elle n’est donc pas non plus sans heurts, ni potentiels conflits… Il faut donc bien définir les conditions d’une bonne cohabitation entre élevage industriel et élevage paysan, et ce d’autant que celle-ci risque d’être plus difficile à l’avenir, en concurrence l’un et l’autre pour la terre et l’eau, pour l’accès au capital, de même que pour l’accès au marché du fait de coûts de production souvent divergents.

Quelle politique pour soutenir et intensifier l’élevage paysan ?

C’est à l’action politique de créer les conditions optimales pour que l’élevage paysan puisse exprimer tous ses potentiels : sécurisation du foncier, accès aux ressources naturelles, organisation du territoire, formation des éleveurs et renforcement des capacités des organisations paysannes, accès à la santé animale, amélioration de la production, valorisation des productions locales sur les marchés intérieurs ou extérieurs. En particulier, pour encourager la nécessaire intensification des systèmes paysans, un accompagnement spécifique des petits producteurs est requis en matière d’organisation, d’accès au marché, de structuration des relations entre les différents acteurs ou de relations contractuelles marchandes équilibrées avec d’autres systèmes d’exploitation. Un cadre réglementaire clair doit finalement protéger les petits éleveurs pour éviter que deux ou trois entreprises ne monopolisent les marchés.

Quatre pistes à suivre pour des systèmes perfomants et une cohabitation apaisée

– Prendre en compte les contextes dans lesquels se développent les deux systèmes : il n’y a par exemple pas un modèle d’intensification laitière mais des modèles divers adaptés aux conditions agronomiques, économiques et sociales locales.
– Réguler les rapports entre les différents acteurs des filières au service de la performance globale des systèmes, en veillant à ce que les moins “robustes”, les petits éleveurs – ne soient pas écrasés par le processus d’organisation de la filière. Cette régulation peut par exemple prendre la forme de prix garantis sous forme contractuelle ou règlementaire.
– Former et accompagner les éleveurs, et notamment les plus plus petits, pour une meilleure insertion dans les filières,
– Mener des politiques publiques nationales et internationales cohérentes pour structurer les filières au bénéfice de tous, pour notamment éviter une concurrence exagérée des produits importés à bas prix.

Lire le compte rendu de la table ronde d’avril 2018 au Sénégal

Regarder l’entretien de Bruno Rebelle

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