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La parole à Léo Montaz : le phénomène des jeunes urbains qui retournent au village.

Léo Montaz est Docteur en ethnologie et enseignantchercheur en Science Politique à l’Université de Lille, membre du CERAPS (CNRS).

Qui sont ces retournés et comment se passe leur réintégration ?

Ce mouvement de retour au village naît dans les années 1970 : la Côte d’Ivoire traverse alors une période de crise économique qui a engendré des licenciements massifs dans les villes. Ne trouvant plus de travail, les jeunes voient alors leur village d’origine comme un lieu d’opportunité pour y travailler la terre. Ce phénomène a pris beaucoup d’ampleur dans les années 80-90 et continue encore aujourd’hui.

Cependant, l’accès à la terre est conditionné dans ces villages au respect du droit d’aînesse. C’est un système social dans lequel les aînés sont détenteurs des moyens de production (la terre) et de leur redistribution. Pour accéder à la terre, les jeunes doivent ainsi se faire bien voir de leurs aînés en respectant tout un ensemble de règles implicites : ils fournissent notamment du travail non-rémunéré, ils répondent à de multiples demandes de services au quotidien et se doivent de respecter la bienséance.

Quelles stratégies la jeunesse met-elle en place pour se réintégrer ?

Les modes d’accès coutumiers ne sont pas favorables aux jeunes. En théorie, les terres sont tout d’abord redistribuées aux frères de même génération jusqu’à ce que cette génération décède (même si dans la réalité, cette règle peut s’assouplir). La pratique du tutorat*, a aussi fortement contribué au manque de terres disponibles pour eux car les aînés autochtones préfèrent tisser des liens avec les “étrangers” qui, en échange de la terre, leur rendent toute leur vie des services en les aidant financièrement lors des cérémonies par exemple, ce à quoi se refusent leurs enfants.

En parallèle d’une forte conscientisation politique à l’échelle nationale dans les années 90, des associations de jeunes ruraux se sont formées pour demander un meilleur accès au foncier. Ils reprochent notamment aux aînés d’avoir mal géré le patrimoine foncier en laissant trop de terres aux “étrangers” et revendiquent le droit à l’héritage direct : ils proclament qu’en tant qu’autochtones, les terres leur appartiennent tout autant qu’à leurs aînés ; un propos idéologique qui pèse un poids important en Côte d’Ivoire où les tensions intercommunautaires sont vivaces.

Ces associations proposent aussi des solutions de type contractuelles. Par exemple, elles valorisent la mise en place de contrat telles que les garanties (location de courte durée) ou la pratique du planter-partager dans laquelle l’”étranger” met en valeur la terre et partage la récolte avec l’autochtone. Ces contrats stipulent systématiquement que la propriété du fond de terre reste aux autochtones.

Pour s’insérer : trouver sa place dans des économies alternatives ?

L’auto-organisation en coopérative ou en groupe de travail pour exploiter ensemble une parcelle, est une des stratégies courantes pour contourner les modes d’accès coutumiers.

Si l’un des membres du groupe a accès à la terre, ils vont instaurer entre eux un système de roulement profitable à tous. Par ailleurs, en dehors des filières conventionnelles (cacao, café, hévéa), les jeunes développent aussi des cultures diversifiées comme le maraîchage. Cette activité à cycle court permet de louer des terres sur de petites périodes (1 an), de générer des revenus et des vivres en quelques mois et permet aux jeunes de se faire accepter progressivement par la communauté.

Enfin, ceux qui malgré tout demeurent sans terres se détournent vers le secteur tiers et optent pour des activités de service qu’ils pratiquaient en ville (revente, coiffure, menuiserie, garagiste, téléphonie…). Autant d’activités qui contribuent à dynamiser fortement les villages, rendre les territoires plus attractifs et à répondre aux aspirations des jeunes.

*Voir les travaux de Jean-Pierre Chauveau, socio-anthropologue

Pour aller plus loin : 

Retour au village, jeunesse et pouvoirs en Côte d’Ivoire 262p. De L. Montaz (2020) aux Editions Karthala.

Crédit photo : ©  Leo Montaz 

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