L’entreprise sociale Ethicajou est le fruit d’un partenariat original entre AVSF, la scop Ethiquable, deux fédérations de producteurs et un groupe de femmes transformatrices. Elle est établie à Kolda en Casamance, une région très rurale au climat plutôt favorable à l’agriculture, constituant ainsi l’un des greniers du Sénégal. Cette région s’avère aussi le cœur de la production d’anacarde, qui ne cesse de connaître une forte demande, aussi bien sur le sol sénégalais que sur les marchés internationaux. Pourtant ce contexte ne bénéficie pas aux producteurs-ices : ceux-ci vendent leur production brute à des intermédiaires, principalement chinois ou vietnamiens, à prix bas et très fluctuants, sans aucune transparence. Cette production est ensuite acheminée en Asie pour y être transformée dans des conditions désastreuses pour la santé des ouvriers, puis réexportée en Europe et dans le monde, sous la forme des noix de cajou que nous consommons notamment à l’apéritif.
Cette situation présente un désavantage double : elle confisque aux familles paysannes la plus-value importante qu’elles pourraient tirer de la transformation, tandis que la marchandise fait le tour du monde avant d’arriver aux clients finaux, participant ainsi à l’augmentation des gaz à effets de serre.
Relocaliser la transformation
Composée de femmes transformatrices d’anacarde, la coopérative Ngalu achète l’anacarde pour la transformer et réaliser une plus-value à la revente. Pourtant, ces transformatrices rencontrent deux principaux problèmes. Un manque d’abord de fond de roulement pour acheter l’anacarde : les banques et les financeurs sont en effet souvent réticents à leur prêter les fonds nécessaires, en raison de la volatilité des prix. D’autre part, ces femmes détiennent des ateliers de transformation sommaires, qui s’avèrent peu rentables et insuffisants pour passer à l’échelle supérieure.
Pour pallier à ces problèmes, AVSF et ses partenaires ont donc créé Ethicajou, qui a construit une usine de transformation à Kolda, avec un équipement adéquat, au fonctionnement écologique. L’entreprise achète l’anacarde certifiée bio et équitable aux producteurs-ices (accompagnés depuis 2 ans par AVSF dans l’obtention de ces certifications), fait travailler les transformatrices de Ngalu leur permettant des emplois certes saisonniers mais générateurs de revenus plus stables. La scop Ethiquable achète enfin les noix de cajou pour les vendre via le commerce équitable. Parallèlement à Ethicajou, les transformatrices de Ngalu continuent de transformer l’anacarde pour fournir le marché local.
Valoriser un savoir-faire
La transformation de l’anacarde suit plusieurs étapes qui permettent d’extraire la noix de son enveloppe et de la rendre comestible. Le décorticage nécessite d’abord de faire bouillir les noix, afin de retirer une partie de l’acide « anarcadique » qui attaquent la peau, ce qui facilite son extraction. Ethicajou a opté pour une automatisation de cette étape qui s’avère très pénible quand elle est manuelle, afin de rentabiliser le processus. Le dépelliculage est la deuxième étape : les noix sont placées dans un four pour subir un choc thermique puis les transformatrices munies de gants et d’huile, enlèvent à la pellicule à la main, ce qui demande expérience et dextérité. Enfin, les noix peuvent être séchées ou torréfiées.
La chaleur nécessaire à ces étapes sont produites avec les déchets et les coques des anacardes, grâce à un four à pyrolyse spécifiquement adapté et conçu sur mesure, permettant d’éviter l’utilisation de bois et la déforestation ; la chaleur est aussi réutilisée grâce à un savant circuit, afin d’économiser l’énergie.
C’est ce savoir-faire associé à des innovations techniques, qu’Ethicajou souhaite valoriser. L’objectif vise l’émancipation et l’autonomie des organisations paysannes de la filière. C’est une prolongation naturelle de l’activité de renforcement des capacités auprès de ces coopératives, opérée depuis de nombreuses années par AVSF en Casamance.