Agroécologie à Madagascar
L’agroécologie à Madagascar : analyse des conditions d’adoption paysanne de différentes techniques à partir de l’expérience d’AVSF
A Madagascar où l’entretien et l’amélioration de la fertilité des sols par des apports de matière organique réguliers et suffisants représentent un enjeu considérable pour l’amélioration des conditions de vie des familles paysannes et la préservation d’un environnement fortement dégradé, AVSF intervient depuis 2002 dans quatre programmes de coopération pour la promotion d’innovations agro-écologiques, avec des communautés et organisations paysannes, dans différentes régions de l’île. Ce document est le fruit d’une analyse fine des résultats et des effets de ce travail, avec une réflexion sur les conditions d’adoption paysanne de différentes techniques dites « agro-écologiques » (SCV, agroforesterie et bandes enherbées, intégration agriculture-élevage, système de riziculture intensive ou améliorée, etc.). Il présente par alleurs des recommandations méthodologiques quant aux modalités d’accompagnement des familles paysannes et de leurs organisations en vue d’une intensification agro-écologique, par une meilleure prise en compte des pratiques actuelles et des stratégies paysannes dans leurs exploitations et sur leurs territoires.
Comme pour de nombreuses agricultures paysannes du monde, pour les paysans malgaches, l’agro-écologie n’est en effet pas une nouveauté. Dans plusieurs régions malgaches, les paysans pratiquent déjà des associations de cultures, voire de l’agroforesterie et des jachères pour maintenir la fertilité de leurs parcelles. Hors des territoires où l’utilisation de fumier reste un « fady », ils utilisent, lorsqu’ils en disposent, diverses fertilisations organiques.
Toutefois, les innovations promues ces dernières décennies par diverses équipes de recherche-action (SRI, SCV, …) permettent, lorsque les conditions sont réunies et lorsque les techniques proposées prennent en compte les contraintes des familles rurales, d’améliorer considérablement l’efficience des systèmes de production tout en contribuant à la restauration de sols et d’environnements souvent dégradés.
Dans les situations rurales malgaches souvent marquées par de grandes vulnérabilités, le choix et le mode de diffusion de ces pratiques devraient être guidés par un souci permanent de limitation des risques pris par les familles paysannes, qu’ils soient techniques, économiques ou climatiques. La valorisation de pratiques traditionnelles d’agroécologie paysanne utilisées dans certaines régions de Madagascar et leur amélioration représentent donc la 1ère voie à explorer, puisqu’elles sont d’ores et déjà intégrées aux systèmes d’exploitation rencontrés. Favoriser la diffusion et l’amélioration permanente de ces pratiques par des échanges et des formations de « paysan à paysan » nous semble également une voie pertinente à promouvoir dans la grande île.
Plusieurs innovations ne sont cependant accessibles qu’à une minorité d’exploitants : tel est le cas d’itinéraires de SCV, certes performants en matière de rendements lorsqu’ils sont pratiqués sur des sols fertiles ou bien amendés en fumure organique, mais qui nécessitent le plus souvent de fréquents recours aux pesticides et engrais chimiques.
L’adoption de ces SCV implique donc très souvent des dépenses plus élevées accroissant ainsi la prise de risque des paysans sur des parcelles exposées à de fréquents aléas (climatiques, divagations des animaux, vols…). Certaines de ces dépenses liées à la restauration de la fertilité des sols à long terme sont, de plus, difficiles à envisager lorsque la sécurité foncière n’est pas assurée.
Par ailleurs, certains pesticides utilisés dans les itinéraires SCV sont dangereux pour la santé des humains, en particulier certains herbicides mais surtout les insecticides utilisés pour protéger les semences des insectes terricoles, lesquels sont favorisés par les couvertures végétales. Dans l’attente des résultats des études menées sur les possibilités de traitements avec des produits biologiques ou des prédateurs naturels des ravageurs, ces solutions techniques doivent être écartées lorsque les paysans n’ont pas conscience des risques encourus (cas très fréquent dans ce pays) ou n’ont pas les ressources financières pour acheter les équipements leur permettant de se protéger.
Par contre, les exemples de SCV robustes, assez simples et à faible risque ne manquent pas comme ceux concernant les légumineuses alimentaires fertilisées avec du fumier ou ceux reposant sur l’utilisation de jachères améliorées de légumineuses, sous réserve cependant que la famille paysanne dispose de suffisamment de terres pour se libérer de l’obligation de tout cultiver pour assurer ses besoins alimentaires. Pour limiter ces divers types de risques, il est proposé d’offrir aux familles paysannes, grâce à un conseil adapté, une gamme diversifiée de pratiques et techniques ayant fait leurs preuves depuis de nombreuses années : associations de culture, pratiques d’intégration agriculture-élevage, agroforesterie, bandes enherbées, techniques de SCV simples et sans ou avec très peu intrants chimiques, etc… Chaque famille paysanne ferait son choix en fonction de ses ressources et de sa technicité.
Cette approche basée sur une offre diversifiée et un conseil agricole adapté aux conditions des familles nous paraît la voie à retenir pour favoriser des adoptions réellement pérennes de pratiques agroécologiques performantes dans les exploitations paysannes de Madagascar.
Enfin, outre le conseil à l’exploitation, il est nécessaire de promouvoir des échanges entre les individus et groupements communautaires visant à améliorer les modes collectifs et individuels de gestion des sols au niveau des bassins-versants ou des terroirs dans leur globalité. Ces approches dites « d’aménagement concerté » stimulent la mise en œuvre concertée d’aménagements complémentaires et pérennes visant à limiter la dégradation des sols et des couverts végétaux par la mise en application de règles de gestion, traditionnellement appelées « Dina ». Elles permettent par ailleurs de renforcer les compétences et connaissances des villageois sur la gestion durable des ressources naturelles et de responsabiliser certains acteurs locaux.
Sur ces bases, les diverses formes d’agro-écologie analysées dans ce document représentent des voies appropriées pour le développement agricole de Madagascar, y compris pour l’approvisionnement des villes en produits alimentaires issues d’agricultures familiales. Ainsi, les paysans des alentours d’Antsirabe combinent le maraîchage et des pratiques d’intégration agriculture-élevage et écoulent régulièrement leurs produits vers Antananarivo. Plusieurs paysans du pays Betsileo et du Lac Alaotra ont recours au SRA pour augmenter la part de riz commercialisée à destination des grandes villes.
Pour renforcer le rôle de l’agro-écologie dans la sécurité alimentaire de la grande île, il serait donc opportun d’identifier les territoires où les facteurs sociaux et économiques sont favorables aux innovations. Le renforcement et l’ajustement des pratiques agro-écologiques doit ensuite se faire de pair avec le développement de filières d’approvisionnement en intrants et de commercialisation des produits agricoles qui soient encourageantes pour les familles paysannes. Cette consolidation des pratiques agroécologiques paysannes requiert donc très souvent d’actions intégrées sur plusieurs années.