Les agricultures paysannes : Au cœur de la lutte contre le changement climatique
Texte de référence
Les populations paysannes sont les premières victimes du dérèglement climatique car elles dépendent directement du climat et des ressources naturelles pour leur activité économique. Ce texte de référence d’AVSF, déjà édité en 2009 et aujourd’hui actualisé, fait le point sur les enjeux à relever, le combat et les actions d’AVSF pour que les familles paysannes soient vraiment considérées comme des acteurs incontournables de la lutte contre le changement climatique, sur leurs territoires, au niveau national et dans les grandes arènes internationales de réflexion et de négociation sur les questions climatiques.
Sur les territoires de coopération d’AVSF, les familles paysannes font elles-mêmes le constat d’une modification du climat depuis sur la dernière décennie, se traduisant avant tout par un bouleversement des cycles de pluies : diminution globale des précipitations, augmentation des inondations ponctuelles destructrices mais inexploitables, imprévisibilité accrue. Les paysans subissent également les conséquences d’évènements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et violents : sécheresse en Afrique, cyclones et tempêtes tropicales dans les Caraïbes ou la zone asiatique, inondations dans les grands bassins fluviaux…
AVSF plaide donc avec ses partenaires pour que les populations paysannes du Sud soient reconnues comme premières victimes du changement climatique, par leur nombre et par l’ampleur des impacts. En conséquence, les financements, l’appui technique et l’effort de recherche destinés à la lutte contre le changement climatique devraient être orientés de façon prioritaire vers l’adaptation de ces populations.
Or l’adaptation est un problème de développement. Les populations paysannes sont fragilisées par des contraintes anciennes qui rendent aujourd’hui difficile la mise en œuvre des mécanismes d’adaptation traditionnels à la gestion des risques climatiques : dégradation des ressources naturelles, crises politiques, évolution du contexte économique et libéralisation des échanges, faiblesse ou absence de politiques favorables, etc. Même si aujourd’hui, le savoir-faire paysan ne peut répondre seul à l’intensité des aléas climatiques, tout programme d’adaptation agricole devrait chercher en premier lieu à comprendre, appuyer et valoriser les pratiques historiques développées au niveau local par les familles paysannes. Car le potentiel d’adaptation intrinsèque des paysans immense : nombre des pratiques utilisées se retrouvent d’ailleurs aujourd’hui dans la définition usuelle de l’agroécologie. Les financements et l’appui technique doivent être ciblés en priorité vers les territoires ruraux et vers les acteurs qui interviennent sur ces territoires, et accompagner les innovations locales et les petits agriculteurs.
Enfin la lutte contre le changement climatique et la lutte contre la pauvreté sont indissociables : la réduction de la vulnérabilité passe d’abord par une amélioration des revenus, ce qui implique de lever des contraintes structurelles des agricultures paysannes : sécurisation de l’accès au foncier et à l’eau, renforcement de leur performance productive (conseil technique, services vétérinaires, formation, programmes de recherche adaptés), et de leur performance économique (mise en place de services adaptés autour de l’approvisionnement, du crédit et de la commercialisation). AVSF plaide donc pour un réinvestissement massif dans l’agriculture paysanne.
Force par ailleurs est de reconnaître que l’agriculture paysanne est plus favorable au climat. N’en déplaise aux défendeurs de la thèse biaisée de la comptabilisation des GES « par produit », la comparaison des données régionales et l’analyse des pratiques nous montrent que l’agriculture paysanne est beaucoup moins néfaste à l’environnement que l’agriculture industrielle. Les agricultures paysannes du Sud soutenues par AVSF emploient généralement des techniques de culture et d’élevage peu émettrices : faible consommation d’intrants chimiques et d’énergie, mise en œuvre de pratiques dites « agro écologiques » s’inspirant notamment de techniques traditionnelles, conduite d’élevage peu émetteur…
Nouveau concept proposé par la FAO, une agriculture « climato-compatible » doit aussi être compatible avec la préservation de l’environnement, le maintien de la biodiversité, la viabilité économique, sociale et la souveraineté alimentaire des ménages ruraux. En ce sens, les systèmes paysans et l’agroécologie constituent un véritable vivier de pratiques prometteuses.
Afin d’accroître la production tout en réduisant l’impact du secteur agricole sur le climat et l’environnement, il est tout aussi urgent d’envisager une conversion des modèles agro-industriels de la révolution verte vers des systèmes agricoles relocalisés, sobres en carbone, résilients et plus adaptés aux économies locales. L’atténuation des émissions du secteur agricole doit se faire avant toute chose au niveau des exploitations agro-industrielles, et par la diminution des intrants chimiques, en particulier des engrais entraînant la formation de N2O à fort pouvoir réchauffant.
En matière d’atténuation, ces mêmes pratiques paysannes agroécologiques ont un potentiel important de limitation des GES. La lutte contre la déforestation reste également un levier d’atténuation important en agriculture paysanne, à condition de proposer des solutions qui répondent aux problématiques des petits producteurs.
Enfin, outre la forte incertitude qui plane depuis plusieurs années sur les marchés du carbone, Il est à craindre que l’objectif poursuivi par la communauté internationale de perfectionner ces mécanismes et les méthodes de comptabilisation ne mobilise de façon disproportionnée une aide au développement qui devrait d’abord être consacrée au renforcement de la résilience des exploitations.
Finalement, parce que les organisations paysannes sont aujourd’hui anormalement absentes ou très insuffisamment représentées dans les grandes arènes internationales de réflexion et de négociation sur les questions climatiques, à commencer par la CCNUCC, AVSF plaide pour donner les moyens aux paysans, à travers leurs organisations, de participer activement aux négociations internationales et aux politiques nationales sur la thématique « climat-agriculture ».